Après une belle croissance dans les années 2010, le vrac recule depuis le Covid. La fréquentation est en baisse et de nombreuses enseignes mettent la clé sous la porte. Pourtant ce mode de consommation qui permet de réduire drastiquement les emballages est l'une des clés de la consommation responsable. Pourquoi le vrac ne perce pas (encore) ? On a creusé le sujet.
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La vente en vrac se définit comme la vente au consommateur de produits présentés sans emballage, en quantité choisie par le consommateur, dans des contenants réemployables ou réutilisables ». Quasiment disparu dans la seconde partie du XXe siècle à cause de la prédominance de la grande distribution, ce mode de vente a opéré un come-back remarqué dans les années 2010. Porté par la prise de conscience générée par des auteurs comme Béa Johnson ou la Famille presque zéro déchet, on se surprenait à espérer (pour une fois) une croissance illimitée de ce secteur. Pourtant, aujourd’hui les magasins de vrac peinent à attirer de nouveaux clients. Pire, ils en perdent ! Un certain nombre d’entre eux ont même fermé leurs portes depuis 2022. Comment expliquer ce phénomène et qu’en penser ? Consommer vrac, est-ce que ça en vaut vraiment la peine ?
Le vrac : c’est si bien que ça ?
Après une période d’expansion continue durant les années pré-covid et un véritable engouement pendant la crise sanitaire, les Français semblent se désintéresser du vrac. En 2022, Réseau Vrac, qui représente les acteurs de la filière, recensait au niveau national environ 118 ouvertures de commerces spécialisés vrac… contre 205 fermetures. Il observait pour la même année une baisse de 40 % de ses adhérents. 42 % des professionnels membres du réseau constataient enfin une baisse de leur fréquentation journalière. Les chiffres 2023 ne sont pas publiés, mais il suffit de se rendre dans un magasin de vrac pour constater que les affaires restent calmes, trop calmes. Quant aux silos de vrac installés dans les grandes surfaces, ils demeurent souvent bien vides, faute de demande.
Un phénomène inattendu dans la mesure où le vrac conserve toujours les avantages qui avaient attiré les consommateurs avant 2020 :
- Diminuer ses déchets : d’après un rapport de France Stratégie publié en janvier 2024, chaque Français jette en moyenne 82 kg d’emballages ménagers par an. Le plastique, en particulier, est loin de faire l’objet d’un total recyclage et termine en majorité incinéré ou en soupe plastique dans l’océan ! Dans les deux cas, il dégrade notre environnement et notre santé.
- Réduire le gaspillage alimentaire : n’acheter que ce dont on a besoin permet de réduire aussi le gaspillage alimentaire. Quand on sait que ce dernier représente 10 % des gaz à effet de serre à l’échelle de la planète, cela fait réfléchir ! Réciproquement, les quantités de produits emballés paraissent souvent plus généreuses qu’elles ne le sont vraiment. Acheter du vide au prix du plein, non merci !
- Lutter contre les achats impulsifs : qui dit emballage… dit marketing ! Avec le vrac, on achète juste des biscuits, des pâtes, de la lessive…et non pas une sensation irrationnelle suscitée par la publicité ! Le vrac nous invite aussi à consommer plus de produits bruts et moins d’aliments hyper transformés, peu nourrissants et bourrés de sucre, de sel, de mauvaise graisse, etc.
- Prendre soin de sa santé : les emballages en plastique contiennent des perturbateurs endocriniens. Il est donc bien plus sain d’utiliser des bocaux en verre pour stocker les aliments.
- Encourager l’emploi local et les petits producteurs : le vrac se prête bien à la commercialisation dans des espaces restreints, tels que de petites épiceries de village. Il permet aussi de proposer à la vente des produits en provenance directe de producteurs (pois chiches, lentilles, par exemple) sans générer de frais d’emballage ni de marketing.
Beaucoup d’avantages donc, malgré quelques inconvénients qui expliquent partiellement la relative désertion du vrac par les Français :
- S’organiser : acheter en vrac nécessite d’anticiper un minimum pour apporter ses contenants en magasin. L’achat est cependant toujours possible en sac en papier et certains petits magasins prêtent ou donnent volontiers des contenants. Mais sortir du doux cocon offert par Uber Eat, Amazon et Netflix nous semble parfois insurmontable !
- Prendre le temps : acheter en vrac implique de prendre le temps de remplir ses contenants. Après la crise sanitaire, les Français ont repris leur rythme métro-boulot-dodo. Par ailleurs, les magasins de vrac ne vendent pas forcément de produits frais et le consommateur doit alors se fournir auprès de plusieurs points de vente, ce qui est chronophage.
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C’est l’avis de Daphnée qui a fréquenté un temps une épicerie vrac itinérante sur son marché avant de reprendre, un peu à regret, ses vieilles habitudes en grande surface : « Le vrac, c’est super mais mon emploi du temps est minuté. Entre mon travail à plein temps et mes trois enfants, je cours toute la semaine et je n’ai pas envie de passer des heures à faire les courses le samedi. On a beau dire, le drive du supermarché, c’est bien pratique. Peut-être que je reviendrai au vrac quand je serai moins débordée. » Bien sûr, nous sommes nombreux à courir après le temps. Rappelons cependant qu’en moyenne, un Français passe 36 heures par semaine devant un écran (hors activité professionnelle). Le manque de temps semble donc parfois très subjectif !
- La question de l’impact : à l’heure où tous les voyants environnementaux (biodiversité, climat, pollutions diverses et variées) sont au rouge, on peut ressentir une perte de repères dans les priorités. Acheter en vrac, cela fait-il vraiment la différence ? Sandrine, qui achète toujours ponctuellement du vrac, s’interroge : « J’ai eu une phase où j’étais à fond zéro déchet mais je me suis un peu calmée. J’ai l’impression finalement que ce n’est pas ce qui a le plus d’impact. Aujourd’hui, j’essaie de manger moins de viande, de faire plus de vélo, mais je ne peux pas être sur tous les fronts. J’achète encore en vrac mais cela m’obsède moins qu’avant ! » Évidemment, acheter ses pâtes en vrac sans changer ses habitudes globales de consommation a peu de sens. Pourtant, généralement, le passage à ce mode de consommation s’accompagne d’une prise de conscience plus vaste de l’aberration du modèle économique dominant.
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Consommer vrac à tout prix ?
Et côté prix ? C’est probablement de ce côté qu’il faut rechercher les vraies raisons de la désaffection des Français. D’un côté, il semblerait logique que les produits en vrac soient moins chers puisqu’on y retire le coût de l’emballage ; de l’autre, la logistique et la manutention sont plus complexes pour les produits préemballés. En effet, les silos et bacs doivent être nettoyés avant chaque remplissage. Un professionnel estime que la mise en rayon des produits vendus en vrac nécessite 16 à 30 fois plus de main-d’œuvre que pour des produits préemballés. Lors du passage en caisse, le temps de main-d’œuvre est là encore plus élevé pour les produits vendus en vrac. Pourtant, il semble que les boutiques préfèrent réduire leurs marges que de reporter totalement le coût de main-d’œuvre sur le prix de vente des produits.
Alors d’où vient cette perception que le vrac coûterait plus cher ? En réalité la vraie question est : plus cher que quoi ? Les magasins de vrac vendent pour la plupart des produits non seulement sans emballage, mais également bio, locaux et/ou issus du commerce équitable. Tout cela a un prix qu’il serait déloyal de comparer à celui des produits conventionnels et en provenance du bout du monde. Le vrac s’inscrit ainsi dans une démarche globale de consommation responsable.
Un certain nombre de magasins bio proposent d’ailleurs un très grand choix de vrac. Prenons l’exemple d’un kilo de lentilles vertes, françaises et bio : vous les trouverez en vrac à la Biocoop au prix de 5,30 €/kg (hors promo), moins chères que lorsqu’elles sont emballées (6,10 €/kg). Satoriz de son côté commercialise des lentilles vertes françaises et bios en vrac au prix de 4,80 €/kg. Dans une grande surface traditionnelle, nous avons trouvé des lentilles vertes bio et françaises au prix de 5,70 €/kg. Le vrac est donc gagnant ! En revanche, dans ce même rayon de grande surface dédié aux légumineuses, des lentilles vertes françaises non bio sont vendues au prix de 3,78 €/kg. Quant aux lentilles vertes non bio et de provenance non identifiée, elles affichent le prix imbattable de 3,45 €/kg. Il en va de même pour quasiment tous les produits.
La crise du vrac s’inscrit donc vraisemblablement dans celle du bio qui a subi de plein fouet les deux années d’inflation que nous venons de traverser (voir notre article sur le sujet) mais aussi du made in France. La bataille du vrac rejoint donc toutes celles de la consommation éthique qui ne pourront être gagnées que grâce à une politique incitative très volontariste !
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Heureusement, certains consommateurs sont restés fidèles au vrac. Pour Nicolas, qui achète une grande partie de ses provisions en vrac depuis « au moins six ans », pas question de revenir sur ce choix : « Je me fournis dans deux magasins de vrac différents : l’un devant lequel je passe en rentrant du travail. Il appartient à une chaîne de magasins bio et je peux aussi y acheter des produits frais, du lait, etc. L’autre est une petite épicerie familiale à quelques kilomètres de mon domicile et j’y vais parfois le week-end. Je trouve que les prix sont équivalents. Chez l’un comme chez l’autre, j’apprécie qu’ils ne vendent que des produits bio et souvent locaux. Franchement, tous les produits de bases comme les pâtes ou le riz sont accessibles en termes de prix, même si c’est plus cher que du non bio de supermarché. En revanche, l’ardoise monte vite dès que l’on achète des produits transformés comme des biscuits ou de la pâte à tartiner. Il ne faut pas avoir la main trop lourde en se servant. Du coup, cela nous incite à cuisiner plus par nous-mêmes ! Et je constate un vrai impact sur le volume de nos déchets : quand nous partons en vacances et ne trouvons pas d’épicerie vrac dans les environs, nous voyons vraiment la différence ! »
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