Pour lutter contre le réchauffement climatique, les compagnies aériennes proposent à leurs clients de voyager plus vert en compensant les émissions de CO2 liées à leur vol. Que penser de ces programmes ? Ont-il un réel impact écologique ou ne sont-ils que du greenwashing ?
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Si vous hésitez entre un Paris-Rome en train (durée 13 heures, à partir de 293 € par personne !) et un trajet en avion (durée 2 heures, à partir de… 53 € par personne), il n’y a que deux explications possibles : soit vous êtes phobique des airs, soit vous êtes écolo ! En effet, le transport aérien est de plus en plus pointé du doigt pour sa contribution au réchauffement climatique, alors que seulement 11 % des Terriens prennent l’avion. Pour apaiser la conscience des globe trotters scrupuleux, les compagnies aériennes ont trouvé la parade : la compensation carbone ! La loi du 22 août 2021 dite « Climat et Résilience », inspirée de la Convention citoyenne pour le climat imposera d’ailleurs progressivement aux compagnies une obligation de compensation des émissions des vols intérieurs : 50 % en 2022, 70 % en 2023 et la totalité en 2024. Alors, prêts pour des vacances à Ibiza ? Pas si vite ! Une petite mise au point s’impose. Le Kaba vous explique les enjeux et embûches de la compensation carbone du transport aérien.
Les émissions de gaz à effet de serre du transport aérien
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Selon le ministère de l’Ecologie, en 2019 le trafic aérien français intérieur et international représentait 6,8 % des émissions de CO2 de la France. Un chiffre loin d’être négligeable.
À l’échelle individuelle, le cabinet Carbone 4 estime que l’empreinte carbone moyenne annuelle d’un Français est de 9,9 tonnes équivalent CO2. Pour respecter les accords de Paris et endiguer le réchauffement climatique, chaque citoyen du monde dispose en réalité d’un « budget » de 2 tonnes de CO2eq/an ! Or, selon des calculateurs tels que ClimatMundi ou Greentripper un seul aller-retour Paris/New-York consomme déjà tout ce quota. Attention, les sites des compagnies aériennes communiquent sur 1 seule tonne de CO2. En effet, la DGAC (Direction Générale de l’Aviation Civile) ne tient compte que des émissions directement liées à la consommation de kérosène. Pourtant, le transport aérien est à l’origine d’autres pollutions qui doublent l’empreinte carbone d’un vol : les oxydes d’azote, mais aussi la vapeur d’eau qui, en favorisant l’apparition de nuages cirrus, réchauffe la surface de la Terre.
Même si les avionneurs travaillent à fabriquer des moteurs plus économiques et donc moins consommateurs, le trafic aérien ne cesse d’augmenter (hors crise sanitaire) et son impact avec. Enfin, rappelons que l’avion à zéro émission n’est pas pour demain.. loin de là ! C’est pourquoi le secteur aérien a trouvé dans la compensation carbone un allié puissant pour plaider sa cause.
Le transport aérien peut-il vraiment compenser ses émissions de GES ?
Qu’est-ce qu’un programme de compensation ?
Le programme de compensation et de réduction des émissions de carbone pour l’aviation internationale (CORSIA), mis en place par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) en 2016 vise à stabiliser les émissions de CO2 de l’aviation internationale au niveau de 2020 via l’achat par les compagnies aériennes de crédits de compensation carbone. D’emblée, on voit donc qu’il s’agit plutôt d’un programme pour limiter les dégâts (on arrête d’empirer !) plutôt que de compenser la totalité des émissions.
Jusqu’à maintenant la plupart des compagnies le pratiquaient de leur plein gré, soit en leur prenant systématiquement à charge sans coût supplémentaire comme EasyJet, soit en le proposant de façon facultative à leurs passagers en échange d’une contribution volontaire. Par exemple, Air France invite ses clients à contribuer au programme Trip and tree et à “acheter” des arbres en même temps que leurs billets.
D’une manière générale, tous ces programmes visent à financer des projets de plantation d’arbres dans de lointains pays, mais aussi à soutenir des acteurs français. On y trouve donc en vrac des projets de plantations de mangrove à Madagascar, de haies bocagères en Normandie ou d’agroforesterie au Togo. Jusque-là tout va bien. Si l’on part du principe que ces projets sont choisis pour leur sérieux et leur pérennité, ce que revendiquent évidemment les compagnies, leur utilité environnementale et sociale n’est pas contestable. Pour autant, peuvent-ils réellement compenser notre aller-retour Paris NY ?
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Les programmes de compensation carbone sont-ils efficaces ?
Schématiquement, les organismes en charge de ces programmes considèrent qu’un arbre équivaut à environ 100 kg de CO2 capté en 10 ans. Ainsi, pour 2 tonnes de CO2 A/R, me faut-il planter 20 arbres…soit pour un seul boeing 747 de 450 passagers, 9 000 arbres minimum ! Par conséquent, chaque compagnie devrait planter quotidiennement d’immenses forêts pour compenser son activité. Il faudra certainement beaucoup, beaucoup de planètes pour recevoir tous les arbres que la croissance du trafic aérien devrait engendrer ! Cela laisse un peu dubitatif… (voir aussi notre article Compensation carbone : mythe ou réalité)
En réalité, les associations environnementales ont toujours objecté le manque de fondement scientifique de ces dispositifs. Soulignons que la capture de carbone par les arbres se fera au mieux sur 10 années (si l’arbre est vraiment planté et survit), alors que les émissions, réalisées en quelques heures, perdurent et contribuent d’emblée au dérèglement climatique.
Une étude de l’Union Européenne publiée le 18 mars 2021 par le Réseau Action Climat a d’ailleurs mis en avant que le système de compensation carbone Corsia ne sera probablement pas efficace pour réduire les effets négatifs du secteur aérien sur le climat. Cette étude explique qu’un certain nombre des programmes labellisés par Corsia ne remplissent pas le critère d’additionnalité, c’est-à-dire qu’ils se seraient réalisés de toute façon sans l’achat de crédits carbone. De plus, ces réductions d’émissions sont également déclarées par les entreprises ou les Etats au titre des efforts réalisés dans les secteurs économiques ou industriels concernés par les projets. Par conséquent, ces compensations sont comptabilisées deux fois au final !
Nous pouvons néanmoins nous orienter, lorsque nous avons le choix, vers des projets labellisés. Le Label bas-carbone, en particulier, se réfère à une méthode approuvée au préalable par le ministère de la Transition Écologique. Cette méthode précise comment les réductions d'émissions associées aux projets (tous français) sont calculées. Par ailleurs, le porteur d’un projet doit démontrer que les réductions d’émissions qu’il génère sont additionnelles, c’est-à-dire qu’elles n’auraient pas eu lieu en l’absence de labellisation du projet. D’autres labels d’organismes comme Voluntary Carbon Standard et Gold Standard, organismes indépendants, certifient les initiatives de compensation carbone. Le décret d’application de la loi Climat et Résilience 1 instaurera des garanties supplémentaires, mais rappelons-nous qu’en tout état de cause, son champ d’application sera limité aux vols intérieurs.
Contribuer à ces programmes de compensation n’est pas nuisible en soi, bien entendu, mais pour les ONG ils ne sont que greenwashing et servent de “permis de polluer” aux compagnies, sans endiguer le mal à la racine. Et pour nous autres, passagers, elles nous donnent bonne conscience et détournent notre regard des vraies questions.
Peut-on être écolo et prendre l’avion ?
Au final pour atteindre la neutralité carbone, qui n’a réellement de sens qu’à l’échelle de la planète, l’Ademe avait souligné que deux leviers sont nécessaires : réduire les émissions de GES et séquestrer le CO2 dans des puits biologiques ou technologiques. Notre rythme d’émissions étant élevé et les capacités techniques et économiques de séquestration limitées, c’est la réduction des émissions de GES qui doit être privilégiée, impliquant une modification profonde de nos sociétés.
Il n’est pas envisageable dans le monde qui est le nôtre d’interdire et de s’interdire tout déplacement aérien. Cela reviendrait à construire des « murs de Berlin » puisque de plus en plus de familles sont dispersées aux quatre coins de la planète, même si la pandémie est venue nous rappeler les limites de cette mondialisation. Les déplacements professionnels et les transports de marchandises doivent bien entendu être réduits en priorité.
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Cependant, chacun de nous doit repenser son rapport à la distance, au temps et au voyage. Un monde où les retraités français choisissent de s’installer au Portugal ou au Maroc car ils ne sont « qu’à » 2 heures en avion de leurs petits enfants n’est pas tenable. Pas plus que le mode de vie digital nomade s’il implique de prendre l’avion tous les 15 jours. Gageons que partout demain, le flygskam suédois (la honte de prendre l’avion) prendra le pas sur la fierté d’étaler son week-end shopping à Dubaï sur les réseaux sociaux !
En l’absence de quota et de politiques publiques volontaristes, on peut toujours se fixer ses propres limites :
- Ne plus prendre de vols intérieurs ;
- Assouvir son besoin d’évasion près de chez soi : notre pays possède un patrimoine naturel et historique inestimable. Une vie ne suffira pas pour le visiter !
- Pour se déplacer en Europe, rechercher systématiquement si le train peut constituer une alternative accessible ;
- Même si on en a les moyens financiers, considérer les vols longs courriers comme ce qu’ils sont pour la plupart des êtres humains : un luxe, à ne s’accorder que de façon exceptionnelle.
Voler restera ainsi une expérience rare et précieuse digne du grand rêve d’Icare !
- Le ministère de la Transition écologique soumet à la consultation du public jusqu'au 6 février prochain le projet de décret qui vise à préciser les conditions d'application de cette obligation, ainsi que les grands principes auxquels doivent répondre les réductions et séquestrations d'émissions issues des projets de compensation : caractère mesurable, vérifiable, permanent, additionnel et transparent de ces réductions