“Compensation carbone”. Ce terme peu connu il y a encore une dizaine d’années est maintenant sur toutes les lèvres, qu’on parle de compensation à titre individuel ou à l’échelle d’une entreprise. Derrière ces 2 mots, beaucoup de bonne volonté et de belles idées… Mais dans les faits, qu’en est-il ? Peut-on vraiment “compenser” le carbone émis pour la production de nos achats ou par nos actions ?
Le Kaba s’est plongé dans le sujet et vous propose quelques pistes de réflexion.
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La compensation, une obligation ?
Tout d’abord, il faut savoir que les initiatives de compensation carbone ne datent pas d’hier. En effet, les premier engagements sont entrés en vigueur avec le protocole de Kyoto, en 1997. Cette charte internationale engage ceux qui y adhèrent à limiter leurs émissions de CO2 ou à les compenser lorsqu’ils vont au-delà des plafonds fixés. Deux types de compensation ont alors été déterminées pour les Etats. Ils peuvent soit investir dans des “projets à émissions négatives” dans les pays en développement, soit participer à des projets écologiques dans les autres pays signataires du protocole de Kyoto. Ces investissements se font via l’achat de crédits carbone sur le principe de 1 crédit carbone = 1 tonne de Co2 compensée.
Le but est de donner un prix au carbone, pour lui attribuer une valeur matérielle. S’est ainsi créé un marché du carbone dont les crédits sont certifiés par les Nations Unies.
Mais alors qui est concerné par ce système de compensation ?
Pour le moment, seuls les États avec le protocole de Kyoto et les entreprises de plus de 500 salariés, les établissements publics de plus de 250 personnes ainsi que les collectivités de plus de 50 000 habitants se doivent de faire un bilan carbone, depuis la loi de Transition pour la croissance verte1.
Les autres structures, entreprises, et bien sûr les individus, ne sont donc pas contraints à compenser leurs émissions. Mais rien ne les empêche de s’engager via des compensations carbones volontaires.
Concrètement, comment compense-t-on le carbone ?
Une fois émis, difficile de faire disparaître les différents gaz qui polluent l'atmosphère. Mais certains projets “bas carbone” ont pour vocation de proposer des alternatives qui ne rejettent pas ou très peu de carbone pour limiter les émissions futures.
Vous pouvez donc investir dans des “projets à émissions négatives”, tels que :
- Des initiatives de reforestation : les arbres, forêts et végétaux sont de véritables puits à carbone !
- Les investissements dans les énergies renouvelables : cela permet de limiter l’utilisation de ressources et de décarboner l’énergie.
- Des projets d’utilisation rationnelle de l’énergie : le développement de technologies “propres” qui permettent de limiter l’utilisation d’énergie.
À vous de choisir les projets dans lesquels investir pour compenser vos émissions !
Le boom de la compensation… et ses travers
La compensation volontaire est en plein essor depuis quelques années. Dans les entreprises américaines par exemple, il y a + 60% de compensations carbone volontaires depuis 2010 !
Malheureusement il est difficile de savoir si les compensations carbone ont un réel effet. Dans une étude, l’ONG Les amis de la Terre constate que “sur 5 655 projets étudiés, 85 % d’entre eux avaient une « faible probabilité » d’assurer les réductions d’émissions promises” 2.
Cette faible probabilité découle du manque de transparence de certains projets, mais aussi de la complexité du calcul des réels émissions capturées ou évitées. Par exemple, la compensation via le soutien à des projets forestiers est assez trouble. Les arbres mettent du temps à capturer le carbone, les projets sont mis en place dans des régions éloignées, et l’exploitation des ressources n’est pas toujours contrôlée. Les aléas climatiques (vents forts, incendies…) peuvent aussi mettre à mal ce genre de projets.
Résultat, on est parfois à la limite du greenwashing. On voit partout fleurir des annonces marketing du type “1€ = 1 arbre planté”. Les arbres sont effectivement plantés, mais il n’y a pas de suivi et les arbres finissent par mourir (selon une étude de l’ADEME1).
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Des compensations carbones fiables, ça existe !
Pour certifier l’efficacité des projets de compensation volontaire, il existe des labels auxquels se fier. Les plus connus sont Voluntary Carbon Standard et Gold Standard, des organismes indépendants qui certifient les initiatives de compensation carbone. Gold Standard a quadruplé le nombre de ses achats individuels de crédits carbone depuis 2019. Ces labels certifient que les réductions d’émissions des projets sont réelles, mesurables et vérifiables.
Le Label Bas Carbone, créé par le Ministère de la Transition Écologique, permet d’acheter des crédits carbone pour des projets en France, ce qui permet de financer des projets localement et donc faciliter le contrôle des résultats et d’entamer une transition à une échelle de proximité.
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La compensation individuelle, quels effets ?
À titre individuel, chacun peut donc choisir de compenser ses émissions carbone. Comme le fameux billet d’avion qu’on vous propose de compenser directement à l’achat. Les compagnies aériennes sont nombreuses à proposer ces services, bien qu’elles ne soient pas encore obligées de compenser (bizarre, le secteur de l’aéronautique représente pourtant 2 à 4% des émissions de GES…).
Soyons clairs. Bien souvent, la compensation proposée se fait via des projets forestiers, avec peu de transparence et de suivi. C’est donc avant tout une compensation “déculpabilisante”. Mais elle a le mérite de sensibiliser le grand public à la compensation carbone !
D’autres options plus sérieuses existent. Des organismes proposent par exemple de calculer vos émissions annuelles, puis vous font choisir parmi différentes options de compensation, souvent des projets alliant impact environnemental et social. C’est le cas de la fondation Goodplanet qui propose différentes initiatives dans lesquelles investir en échange d’un certificat de compensation carbone.
Attention, contrairement aux dons à des associations et ONG, vous ne pourrez pas déduire fiscalement le montant versé puisqu’il s’agit d’un investissement.
Comment compenser mes émissions ?
Tout d’abord, mesurez votre impact carbone, pour savoir combien vous émettez.
Vous pouvez ensuite identifier vos actions/consommations les plus polluantes afin d’essayer de réduire votre impact.
Vous pouvez ensuite compenser l’impact carbone restant en suivant ces étapes :
- Trouver un organisme ou projet qui vous plaît
- Vérifier la transparence de la structure pour savoir exactement quelle part de l’investissement servira au projet final !
- Vérifier les labels du projet, afin d’être sûr.e que les crédits carbone auront réellement de la valeur.
- Chaque année, se fixer des objectifs (réalisables) de diminution de ses émissions.
D’autres alternatives comme placer son argent dans une banque éthique ou certaines cryptomonnaies écologiques, ou encore des plateformes de financement participatif permettent d’investir plus directement dans des projets à faible impact ou en faveur de l’environnement. Mais ceux-ci ne délivrent pas de certificat de compensation carbone.
La compensation, enjeu important des mots et des actions
Finalement le mot “compensation” cache la réalité du processus. En achetant du crédit carbone, vous n'encapsulez pas une tonne de CO2, vous permettez à des projets environnementaux et sociaux qui émettent peu de GES de voir le jour. Or si compenser ses émissions permet de déculpabiliser des comportements polluants, sans remettre en cause les consommations ou productions superflues, la neutralité carbone ne peut être atteinte. C’est en quelque sorte une version moderne des indulgences versées à l’église au Moyen Âge. Comme les Chrétiens finançaient l’Eglise pour avoir leur place au paradis, l’achat de crédit carbone permet de verser une somme symbolique pour l’avenir, sans réelle garantie des effets…
Ce rachat de bonne conscience entretient l’illusion de la compensation et permet de ne pas remettre en question le système marchand. C’est pourquoi nombre de Think Thank, ONG et associations, tels que Carbone44 prônent un changement de vocabulaire, pour passer du terme de “compensation” carbone à une “contribution carbone”, qui devrait être obligatoire. Il s’agirait alors de passer d’une logique de “possession” d’émissions carbone produites ailleurs, à une “contribution” à des projets à impact positif.
La compensation est en partie une solution, mais il est surtout crucial de réduire ses émissions (limiter ses consommations, se tourner vers des énergies bas carbone, changer des habitudes émettrices de GES,…). Calculer ses émissions dans l’optique de les compenser est déjà une bonne piste pour prendre conscience des chiffres et réfléchir à de nouveaux modes de consommation.
A condition de passer ensuite à l’action….
Sources :
LA compensation volontaire, démarches et limite, ADEME, juin 2012
“Les quotas carbone individuels à la rescousse de la taxe carbone”, Alternatives économiques, 31/12/18
INSEE, Les emissions de Co2 du circuit économique Français 2010 :
DATALAB du Commissariat Général au développement durable :
Alice VALIERGUE, “L’émergence d’un nouveau marché, Le cas de la compensation carbone volontaire”, mémoire IEP Paris.
Sarah Gibbens, “Crédits carbones, compensent-ils vraiment nos émission de CO2 ?”22 janvier 2020, National Géographics
Les marchés du carbone expliqués, Le bureau du Pacte Mondial de l’ONU, Juillet 2009
Pierre Breteau et Gary Darorne, “Le principe de la compensation carbone est-il efficace ?”, 6 mars 2019, Le Monde
Info-compensation-carbone.com
Cesar Dugast et Renaud Bettin, “Ne dites plus “compensation” : de la compensation à la contribution”, 4 juillet 2019, Carbone 4
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